La notion d’accrochage a mis en évidence l’importance des relations entre les apprenants (élèves, apprentis, étudiants) et les éduquants (enseignants, travailleurs sociaux, thérapeutes, etc), autrement dit de l’environnement des apprenants dont on souhaite prévenir le décrochage.
Mais cet environnement se tisse également à travers les relations :
- entre professionnel-le-s, interprofessionnelles ou/et interinstitutionnelles
- entre les professionnel-le-s et les parents ou les familles, ouvrant sur la question plus large des relations entre l’école (ou autres institution) et la communauté dans laquelle elle s’inscrit.
Ainsi, le concept « d’alliance éducative » peut s’appliquer à trois niveaux :
- micro (relations directes autour de l’apprenant),
- méso (relations interprofessionnelles, relations école-famille)
- macro (relations interinstitutionnelles, voire internationationales)
Cette acceptation large du concept d’alliance peut s’avérer heuristiquement féconde à condition qu’elle ne devienne pas pour autant une notion floue, « fourre-tout », donnant l’illusion de partager des centres d’intérêt et provoquant des malentendus. Il apparaît donc bénéfique et nécessaire de spécifier les différentes façons dont nous envisageons l’étude des « alliances éducatives » et nourrir ainsi l’émergence de ce concept, sans pour autant le définir de manière trop étroite, afin que ce laboratoire continue à bénéficier d’échanges entre approches diversifiées.
L’alliance comme qualité relationnelle
La notion d’alliance éducative ne désigne pas n’importe quelle relation. Elle signifie que les personnes concernées :
- poursuivent une finalité commune
- dans un climat de confiance suffisant à la poursuite commune de cette finalité
- et un rapport de réciprocité impliquant une éthique de la reconnaissance de l’autre comme sujet.
Nous considérons que le concept d’alliance éducative peut s’appliquer de manière transversale à des relations très variées : enseignement, formation, éducation, thérapie, relation d’aide, partenariat, collaboration, coopération, coenseignement, coordination, accompagnement, consultance, etc. Ces relations peuvent impliquer plus ou moins d’interdépendance entre les personnes concernées, et cette interdépendance, dans l’idée d’une relation éducative, est amenée elle-même à évoluer. L’alliance représente en quelque sorte la qualité relationnelle nécessaire à la construction, l’évaluation et la régulation de ces relations, autrement dit à leur flexibilité.
L’alliance comme qualité relationnelle particulière peut être étudiée à travers l’analyse des interactions entre les personnes concernées, mais aussi à travers leurs représentations de ces alliances. Par exemple : Comment perçoivent-ils les finalités poursuivies ? S’y sentent-ils suffisamment en confiance pour s’y impliquer ? Se sentent-ils reconnus comme sujets pouvant y contribuer ? Et comment perçoivent-ils l’autre ou les autres personnes impliquées ?
L’alliance comme processus et comme travail
L’alliance peut désigner l’accord, mais aussi l’action de s’allier. Nous la considérons donc d’une part comme un socle sur lesquels peuvent s’appuyer les personnes impliquées dans cette relation, mais aussi comme le processus à travers lequel elles construisent et maintiennent cette qualité relationnelle. Par exemple, comment se construisent des finalités partagées ? Comment se développe ou non une confiance suffisante ? Qu’est-ce qui favorise ou empêche l’implication et la reconnaissance de chacun-e ?
La façon dont les acteurs et actrices concernés participent à ces processus peut être également considérée comme une activité, voire comme un travail dirigé vers la construction d’alliance, ou même comme une part de leur métier. Comment s’efforcent-ils de construire des alliances ? A quelles épreuves, quels dilemmes sont-ils confrontés ? Quelles pratiques et quels savoirs d’expérience développent-ils ? Qu’est-ce qui soutient ou empêche le développement de cette activité ?
L’articulation entre alliances
Le constat d’interdépendance entre les alliances à tous les niveaux évoqués invite à s’intéresser à l’articulation entre celles-ci. L’alliance éducative peut être considérée d’ailleurs comme une relation ayant pour finalité le développement d’autres alliances : l’alliance entre enseignant et élève peut viser à favoriser l’alliance entre l’élève et le monde du savoir, ou entre l’élève et les institutions scolaires ou professionnelles dont il pourrait bénéficier, ou entre l’élève et ses pairs…. L’alliance école-famille peut soutenir l’alliance entre élèves, entre élèves et enseignant-e-s, ou entre familles et société. Une alliance interinstitutionelle peut favoriser des alliances interprofessionnelles, elles-mêmes au service d’alliances avec les jeunes ou avec les familles, etc. Cette perspective invite à distinguer l’alliance (qui a pour finalité le développement d’autres alliances), de la coalition, qui se construit et trouve son sens dans l’opposition à un ennemi commun.
Il est ainsi possible d’étudier des relations en analysant dans quelle mesure elles relèvent de coalitions contre un tiers, ou plutôt de soutiens à la construction d’autres alliances, et si oui lesquelles. En retour, on peut également s’intéresser à toutes les alliances sur lesquelles s’appuie un acteur ou une actrice, pour soutenir son travail de construction d’alliances.
Les alliances éducatives peuvent alors être appréhendées comme un tissu relationnel, ou un environnement capacitant, non seulement pour les apprenants cette fois-ci, mais aussi pour les professionnel-le-s, et pour les parents.
L’alliance comme injonction
L’importance des alliances s’exprime de plus en plus dans la littérature scientifique, mais aussi dans les prescriptions formelles (lois, règlements, mandats…). Cette reconnaissance officielle nécessite de veiller à continuer à développer un regard scientifique critique. Comment les acteurs et actrices s’en emparent dans leurs pratiques ? Quels sont les « effets » réels (et parfois pervers) de ces injonctions ? Quelles représentations, quels discours, quelles structures, quels dispositifs, quels (dys)fonctionnements se développent sous le nom « d’alliances » ?
L’utilisation même du terme d’alliance pour désigner un type particulier de relations met l’accent sur la différence supposée entre les personnes concernées, ainsi que sur l’importance ou/et la difficulté qu’elles auraient à s’allier. A l’inverse, d’autres alliances ne sont pas thématisées, soit parce qu’elles ne sont pas considérées comme pertinentes, soit à l’inverse parce qu’elles représentent des « allant de soi ». Un regard critique sur ces usages peut permettre d’interroger les découpages ainsi induits, et l’importance relative attribuée aux diverses relations.
L’alliance comme engagement lié à des valeurs
La notion d’alliance ne se limite pas à la formalisation d’accords, autrement dit à la contractualisation. Elle signifie le développement d’une confiance, qui se construit à travers l’expérience de l’autre, et de sa constance dans l’incarnation de certaines postures éthiques. La reconnaissance de l’autre comme sujet va de pair avec des valeurs telles que le respect et la bienveillance, par exemple. Ces dimensions éthiques peuvent faire l’objet de recherches : Quelles valeurs sont affichées, partagées, incarnées, par chacune et chacun ou conjointement, et comment ? De quels engagements, réflexions, dilemmes ou délibérations éthiques les actrices et acteurs font-il preuve ?
Nous n’envisageons pas l’alliance en tant qu’idéalisation systématique des relations impliquant une forte interdépendance, ni comme cohérence absolue entre acteurs professionnels, dispositifs, institutions, etc. Si le concept d’alliances est en lien avec celui de continuité spatiale et temporelle, visant à éviter le morcellement des parcours et des interventions, il n’est pas pour autant synonyme de fusion, d’uniformité, de panoptique, et d’environnement totalisant, voire totalitaire. Les ruptures, les tensions, les différences, sont aussi importantes que la cohérence et la continuité. Et l’alliance représente à notre sens une relation où peuvent s’exprimer les dissensions, les conflits, les tensions
Ainsi, s’intéresser aux alliances peut aller de pair avec une visée de transformation sociale, non pas « pour » mais « avec » les jeunes, les familles et les praticiens, leur donnant voix, et permettant leur participation, leur actorisation.
Les alliances entre chercheurs et acteurs-actrices
Le laboratoire vise à promouvoir les liens entre chercheur·e·s, professionnel·le·s et usagers. Plusieurs membres ont développé des démarches de recherche impliquée, participative, collaborative, de recherche-action… impliquant la construction d’alliances particulières entre les chercheurs et les participant-e-s à la recherche.
L’étude de ces alliances représente également un centre d’intérêt du laboratoire, tout comme les diverses méthodologies donnant « voix au chapitre » aux usagers et aux praticiens dans la construction de connaissances.
Les alliances intercontinentales
Le laboratoire vise à promouvoir des échanges entre chercheurs provenant de pays et de contextes variés. Or, la problématique du décrochage est davantage prégnante dans des pays favorisés sur le plan financier, que dans des régions où les défis majeurs sont la scolarisation et l’accès à la formation. L’alliance par contre représente un concept plus universel, plus facilement vecteur d’échanges entre chercheurs s’inscrivant dans des contextes socio-économiques très différents. L’étude des alliances peut ainsi s’appliquer aux relations entre ONGs et organes étatiques, entre bailleurs de fonds et militants, entre état central et régions, entre populations particulièrement peu scolarisées et institution scolaire… et entre chercheur·e·s de différents continents !